Récit R1135 : Le blues du bleu

RG

Richard
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  1. R1135 de 1969
  2. R1133 de 1966
Je suis tombé sur cet article dans http://www.webcarcenter.com/ de Patrice Vergès, journaliste et auteur de nombreux livres sur les voitures anciennes.
... et je ne résiste pas à vous le faire découvrir.


R8 Gordini 1300 : Le blues du bleu
Renault a fabriqué en cinq ans seulement 11.617 R8 Gordini dont près de 9.000 1300 type 1135.
Autant dire presque rien par rapport à l'empreinte qu'a laissé cette voiture bleue dans la cour des passionnés de l'automobile.
Pourtant, il y a un peu plus de 30 ans, des R8 Gordini, on en voyait partout.
Il est vrai qu'il était facile de transformer esthétiquement une vraie R8 en fausse Gordini en la repeignant du fameux bleu France référencé 418 chez Renault et en la chaussant de jantes larges.
Mais, la R8 Gordini, c'était bien plus qu'une peinture bleue et deux bandes blanches.

Ensorcelé par le sorcier
A partir d'une simple R8 ensorcelée par le sorcier Amédée Gordini, Renault avait créé une voiture de sport beaucoup plus performante que la Mini Cooper qui avait lancé le concept de la petite berline sportive.
Grâce à un prix honnête fixé à 13.500 francs 1967 soit environ 20.000e, deux fois quand même le tarif de la R8, la Gordini permit à une génération de jeunes conducteurs d'accéder à un véritable véhicule sportif.
Du jamais vu auparavant. Surtout, elle révéla un nombre impressionnant de jeunes talents grâce à la course notamment la fameuse Coupe Gordini.
La Gordini bénéficiait d'une caisse renforcée, d'un train roulant surbaissé et surtout d'une mécanique affûtée. Son petit 1255 cm³ délivrait 103 ch SAE ou si vous préférez 88 ch DIN ce qui était beaucoup il y a prés de 40 ans pour cette cylindrée, une puissance doublée par rapport la R8 de papa.
Elle avait été obtenue en partie à l'aide d'une belle culasse hémisphérique gravée du G du sorcier et gavée par une batterie de deux carburateurs Weber de 40 à double corps.
Ce moteur émettait un rugissement caractéristique, feutré au ralenti assez cafouilleux après un certain kilométrage lui donnant un parfum de course avant de se teinter de notes graves en prenant du régime.

8.000 tours !
Pour son possesseur, une R8 Gordini ne faisait jamais assez de bruit et pour mieux qu'il l'identifie à celui de la Coupe ou des rallyes, beaucoup montaient un pot Devil mégaphonique et 4 trompettes d'admission qui muaient le rugissement en hurlement sans fin ponctué d'une succession d'explosions jouissives en décélération.
Ce moteur adorait prendre des tours lus sur le grand compte-tours cerclé de chrome où il n'y avait aucune zone rouge.
Un compte-tours qui n'avait pas loin de là, la précision d'une montre suisse en laissant croire que le moulin prenait près de 8.000 tours sur les intermédiaires alors qu'il commençait à bégayer à 7.000 sauf si on l'avait fait équilibrer ou équiper du fameux kit 1296 qu'il fallait prononcer en deux temps 12- 96 pour mieux impressionner les copains au café.
D'ailleurs, pour montrer qu'ils en tiraient tout le jus au passager de droite, beaucoup orientaient le compte-tours pour avoir le chiffre 80 juste devant les yeux et glissaient dans le logement situé derrière la banquette un casque visible par la lunette arrière à l'attention des rares fous qui oseraient s'attaquer à un hypothétique pilote de course.

Bras tendus à 10h10 !
Piloter une Gordini apportait des sensations extraordinaires à un type ordinaire qui ressentait des émotions d'un pilote.
Le moteur assez souple jusqu'à 4.000 tours se déchaînait passé ce régime épaulé par quelques vibrations issues de la porte passager gauche et le grognement du couple conique.
Des sensations jamais ressenties dans cette gamme de prix notamment des accélérations impressionnantes comme le 1.000 mètres départ arrêté en moins de 33 secondes et une 4eme redoutable qui flirtait avec le chiffre 150 ;le maximum atteint par les berlines les plus puissantes du marché.
Là, en soulevant légèrement le dos moite collé contre le skaï du moelleux dossier trop incliné car à l'époque on conduisait bras tendus à 9 heures 15, le Gordiniste accédait à une autre dimension en cherchant la cinq qui l'entraînait à la vitesse surréaliste d'un bon 185 compteur soit 175 km/h.
A cette allure folle, il était le roi absolu de la route surtout si celle-ci tournicotait un tantinet. Cela dit, il ne fallait pas beaucoup s'aimer pour rouler à de telles allures où elle devenait délicate et plutôt légère survolant le goudron sur ses maigres 135 X15.
Voici pourquoi, tout bon Gordiniste dès qu'il avait fini de payer son crédit et à condition que sa Gordini soit toujours vivante, car il y avait une sorte de sélection naturelle, investissait dans un jeu de jantes larges de 13 pouces chaussées de pneus plus épais qui lui donnaient l'air autrement plus méchant des Groupe 2 de course surtout après avoir enlevé les cales à l'arrière et percé la traverse à l'avant pour donner un carrossage négatif aux roues.
Le négatif c'était positif pour la R8 Gordini qui gagnait de la voie et de l'assise mais perdait de la motricité à cause d'un pneu travaillant vite et mal sur la tranche et de la lourdeur accrue de la direction et d'un nez léger qui se cherchait beaucoup au freinage trop assisté qui envoyait le passager de droite dans le pare-brise s'il ne se tenait pas fermêment à la poignée verticale qui lui cassait le poignet.

Transformer un conducteur en pilote
Dès que la route tournait, la « Gord » comme on l'avait rebaptisée affectueusement se transformait carrément en bête de course et son conducteur en Piot, Vinatier, Andruet ou Mieusset. La voiture bleue enroulait avec gourmandise les virages serrés se plaçant idéalement et vous donnant l'impression que vous étiez un grand.
En revanche, en courbe rapide, elle vous montrait vite si vous étiez un grand ou pas en demandant une conduite fine et sans excès. Sinon elle vous renvoyait brutalement d'où vous veniez et pas toujours sur ses roues. Elle offrait de véritables sensations de voiture de course.
Bien sur la Gordini n'était pas exempte de défauts. La boîte à cinq rapports était d'une imprécision encyclopédique qui a été la cause de tragiques rétrogrades cinq-deux. Bien sûr que le freinage trop assisté manquait d'endurance en conduite sportive.
Bien sûr, une Gordini buvait comme un charbonnier si on ouvrait en grand les deux Weber DCOE et même davantage lorsqu'on se rendait compte qu'avec les 13 pouces quand on lisait 100 km sur le totalisateur, la carte Michelin en comptait moins de 90 !
Mais ce n'était rien par rapport aux sensations qu'elle offrait et encore rien par rapport au paradis dont elle vous avait donné les clés. La R8 Gordini, c'était la manière la plus rapide d'aller d'un bonheur à un autre bonheur en faisant oublier tout le reste.
Rien que du bonheur.

Patrice Vergès
 
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